le jour où Gabriel Deschannel a osé se moquer de Hannah Woods
Dès qu'elle était descendue de scène, ses amis s'étaient précipités autour d'elle, jacassant comme des pies, criant, riant. Julian l'avait prise par la taille, lui dédiant au passage l'un de ces fameux sourires fiers dont il avait le secret. Son cur battait encore la chamade. Dieu qu'elle aimait la scène. Ce soir, le public ─ composé en majorité de ses camarades de classe et d'étudiants ─ avait semblé très réceptif aux quelques chansons que Léo et elle avaient interprétés. Leur écriture était encore hésitante mais, c'était certain, ils avaient déjà trouvé leur style.
Les autres finirent par se calmer et quelqu'un proposa une tournée générale, ce qui ravit évidemment tout le monde. Hannah s’éclipsa cependant afin d'aller récupérer sa veste, qu'elle avait abandonné près de la scène, aux côtés de son sac et de sa guitare. Ce n'était qu'un petit bar mais son frère et elle étaient déjà venus plusieurs fois. Ils ne chantaient pas pour se faire remarquer. Ils chantaient parce qu'ils aimaient ça, parce que c'était ce qui les faisait vibrer. Ajustant sa fine veste en cuir, elle s'autorisa enfin un sourire satisfait. Afficher cet air triomphant devant les autres aurait été un peu prétentieux, même si elle n'était pas connue pour sa modestie légendaire. « Très impressionnant » lança une voix masculine derrière elle. La jeune fille jeta un coup d'il qu'elle voulut désabusé par-dessus son épaule. Son sang ne fit qu'un tour. Sous ses yeux, un verre à la main, l'observant d'un œil appréciateur, se tenait Gabriel. Gabriel, le type que la plupart de ses copines rêvaient de voir à leur bras, le redoublant de terminale S 3 qui se traînait une réputation de rabat-joie congénital depuis qu'il avait viré tout le monde de sa soirée d'anniversaire, à seulement vingt-trois heures, alors que la plupart des invités ─ du moins, des personnes présentes, puisque les trois quarts n'avaient pas vraiment été conviés ─ étaient arrivés depuis une vingtaine de minutes. Gabriel, le mec pour lequel elle avait le béguin. Gabriel, Gabriel, GABRIEL était en train de lui parler. « Merci » répondit-elle, priant mentalement pour ne pas rougir. Merde, elle avait quand même une réputation à sauvegarder. Et Hannah Woods, thanks to god, ne rougissait pas comme une simple petite minette, même face à Gabriel Deschannel, aussi canon fût-il. « Pas ta musique, Woods. Ta petite comédie de nana humble et modeste. Tu fais du théâtre à Henry IV, nan ? » demanda-t-il, avec l'air de celui qui pose une question et qui se fout de la réponse. Estomaquée, elle arqua un sourcil, avant de secouer brièvement la tête, levant les yeux au ciel. Et dire que des tas de filles ─ parmi lesquelles elle comptait ─ le trouvaient à tomber. Le mythe s'était effondré là. Il était puissamment agaçant et paraissait soudain très, très con. « Remarque, avec un talent pareil, tu dois pas avoir besoin de cours » ajouta-t-il avant de porter son verre à ses lèvres. Il s'était avancé et appuyé contre le mur, à quelques centimètres à peine de l'adolescente qui l'observait, les lèvres pincées. « Merci, vraiment, Deschannel, tu n'imagines pas à quel point je suis touchée » railla-t-elle avant de se baisser pour ramasser son sac. Il ricana, l'arrêtant dans son geste. « Oh, je te vois de là tout raconter à tes charmantes copines en enjolivant les détails, histoire de servir ta réputation, acquiesça-t-il, avec une moue convaincue, d'ailleurs, à ce propos, je crois vraiment que tu devrais laisser ton côté petite catho coincée ressortir, ça te va mieux que de jouer à la traînée à la voix languissante » D'accord, cette fois, c'était définitif, ce mec était un gros con. Vraiment. Hannah s'approcha, réduisant au strict minimum l'espace qui les séparait. Elle le toisa avec hauteur. « Va te faire foutre » lâcha-t-elle. Toute en finesse et en élégance. Toujours.
Sans plus un regard pour le garçon, elle se détourna, faisant voltiger au passage ses cheveux bouclés pour l'occasion. Quel gros crétin. Franchement ! Elle qui croyait qu'il était sympathique, drôle, aimable, romantique et─ non, c'était définitif, Gabriel Deschannel était un gros con. Et il allait regretter le jour où il avait osé se moquer de Hannah Woods.